jeudi 17 février 2022

Patagonia, episodio 5 : road-trip à Chile Chico

 Il y a des gens qui passent la saint Valentin à faire des balades romantiques, à se faire dorloter, à aller au restaurant. Nous, nous devons rejoindre Chile Chico à travers la Patagonie, ses routes caillouteuses, ses montagnes, sa pampa.

Prenez une tasse de maté et accrochez-vous, ça va être long...

Tout commence à 6H du matin pour être en avance au terminal de bus de Cochrane. L'unique bus pour Chile Chico part à 7H et il n'y a pas de réservation, comme le chauffeur nous l'a dit la veille. Or, il y a déjà une demi-douzaine de personnes autour du chauffeur, qui tient une liste de passagers dans sa main !

Il s'avère qu'il loue le bus et note les voyageurs qui l'ont appelé. Nous autres, ainsi que nos compagnons d'infortune, avions appelé le propriétaire du camion qui ne s'occupe absolument pas de communiquer avec le chauffeur.

Deux Etats-Uniennes, dont une Californienne, veulent prendre le bus. La première a déjà loupé le bus à deux reprises et est restée coincée à Cochrane. La seconde insiste plus tandis que Madame aperçoit deux sièges vides.

Le chauffeur dit qu'ils sont réservés pour deux personnes à Puerto Bertrand. Nous parvenons à monter tandis que je vois la Californienne dépitée et en colère fondre en larmes...

Ça commence bien...

Arrivés à Puerto Bertrand, nous trouvons un carton et un spot pour faire du stop. Il y a deux autres couples et un homme. Nous attendons près d'une heure jusqu'à ce qu'un van nous prenne.

C'est une famille de Tortel avec 5 enfants qui nous emmène jusqu'au croisement de la route entre Puerto Tranquilo et Chile Chico.

Le père est Huilliche, un des peuples originaires, et est l'auteur des sculptures que nous avons vues à Tortel. Il nous raconte l'arrivée de sa famille à Tortel, traversant le río Baker à la rame et perdant l'essentiel de leurs affaires et leur animal dans le fleuve durant la traversée.

Nous dépassons un camion avec l'un des couples de stoppeurs qui attendait avec nous.


Une fois déposés, on recommence. Le camion blanc avec le couple de stoppeurs nous prend et nous les rejoignons dans la remorque.
Je vous présente Cristóbal et Pamela.

Le camion nous dépose à Puerto Guadal. Nous faisons des sauts de puce. Nos deux compagnons partent à la recherche d'une boutique pour trouver à manger. Nous traversons le pueblito, désert, jusqu'à la sortie où se trouve une petite boutique.
Alors que Madame achête du pain, un pick-up passe, me voit avec mon carton mais ne s'arrête pas. A l'arrière, je vois Barbara (cf. post sur Cochrane) qui me fait de grands signes. Arf, pourquoi ne s'est-il pas arrêté ?!
Nous nous posons un peu plus loin quand Cristóbal et Pamela nous rejoignent et se placent après nous.


Arrive un couple qui se place avant nous. Là, j'avoue pigner car normalement on ne prend pas la place de l'autre, surtout au milieu de nulle part. Madame me dit que, de toute façon, si quelqu'un vient ce sera un camion qui nous prendra tous.
Le jeune homme, Felipe, vient nous voir, il nous propose justement d'appeler un camion-taxi et de nous tenir au courant. Avec sa copine, Kimberly, ils ont aussi un carton pour Chile Chico.
Un camion vert passe, Felipe nous dit de monter, le camion va nous déposer 17 Km plus loin, mais ne prend pas Cristóbal et Pamela qui n'ont pas de carton.

C'est bien le camion pour admirer le paysage.

Arrivés à destination, il faut désescalader de la remorque et ne pas oublier les sacs.
Nous discutons un peu avec le conducteur et la jeune fille qui l'accompagne, tous les deux avec une bière à la main. Heureusement que nous n'allons pas plus loin.
Je vois alors un camion blanc arriver et lui fais signe de s'arrêter. Allez, on monte tous les quatre à l'arrière où se trouve un joli ballot de paille et... Cristóbal et Pamela !

La paille s'insinue partout, les lunettes et le masque retrouvent leur utilité.

Sans masque c'est vraiment pénible.


Le camion nous dépose couverts de paille à Maillín Grande (grand que de nom) devant l'épicerie locale.
Un grand camion bleu, que nous avons déjà croisé à chaque arrêt, se plante devant nous. D'autres camionneurs arrivent, braillent, sortent les bières et montent dans ledit camion.
L'enthousiasme baisse d'un cran car il reste encore 70 bon kilomètres et nous n'avons pas d'hébergement.
Felipe y va au culot et va discuter peu après avec le chauffeur du camion, qui n'a pas bu de bière. Il dit à Felipe qu'il attend des travailleurs pour charger la remorque avec du "fardo", des ballots de paille, et qu'il ne va pas à Chile Chico.
"Allez, nous sommes 6. Nous te chargeons le camion, tu économises la main-d'oeuvre et en échange tu nous emmènes à Chile Chico."
Il grommèle et au bout d'un quart d'heure il finit par nous prendre.
Je n'ai pas pris de photo du camion mais voici la vue intérieure :    
Nous sommes dans une grande cage, ouverte sur le dessus et d'où nous pouvons voir le paysage défiler.



C'est beau ! Oui, mais :
- nous n'avons toujours pas d'hébergement à Chile Chico,
- il va falloir refaire du stop en pleine chaleur,
- la route est atroce, nous sommes secoués dans tous les sens. Le camion pourrait déraper à tout instant et nous emmener dans le précipice et le lac, le chauffeur pourrait nous emmener à un sacrifice humain en l'honneur des divinités locales, nous pourrions avoir du reggaeton en fond sonore...
C'est un remake du film "Le salaire de la peur", la nitroglycérine en moins.
- il nous faut savoir si la "barcaza", le ferry, part bien de Chile Chico demain pour que nous rejoignons Balmaceda.
Honnêtement, tout le monde a la trouille. Felipe la gère différemment en regardant la route. Madame lui demande : "toi qui as internet, tu peux voir si la barcaza fonctionne toujours ?"
Deux minutes plus tard : "Non, à cause du vent elle a dû rentrer et l'autre est à nouveau en panne ! Normalement un bus doit partir à 15H pour Coyhaique."

Bref, nous sommes dans un camion balloté sur les cailloux, en pleine pampa, littéralement, regardez les photos il n'y a RIEN (je vois même un crâne et des os de vache dans le plus pur style western), et en plus il va falloir faire demi-tour pour arriver à temps pour l'avion deux jours plus tard (oui, ici on met une journée pour faire quelques dizaines de kilomètres).

Le camion nous dépose en pleine pampa, à quelques kilomètres de Fachinal et 42 Km de Chile Chico.
Là, c'est le moment du choix : continuer jusqu'à Chile Chico et trouver un moyen de retour ou rebrousser immédiatement chemin jusqu'à Puerto Tranquilo.
Il y a à cet endroit un travailleur qui fait arrêter et passer les voitures avec un panneau stop car la route / piste est en réparation. Nous avons l'espoir de voir passer le bus pour Coyhaique mais en vain.
Je sors le feutre et Madame écrit "Puerto Tranquilo" au dos de notre carton. Si nous sommes pris, nous rebroussons chemin, sinon nous continuons avec la petite troupe.
Des pick-up passent, parfois pleins parfois avec une ou deux personnes, qui daignent plus ou moins nous regarder. C'est rageant car nous sommes près du but et, contrairement aux autres, nous n'avons pas de tente.
Un pick-up rouge finit par s'arrêter. Petite discussion avec Felipe et Cristóbal décide de nous laisser monter car nous devons arriver vite avant la fermeture du terminal de bus de Chile Chico.

Là, j'ai bien pris le soleil. J'ai repensé au Paris-Dakar qui avait traversé l'Atacama, ils auraient pu venir ici aussi.
Nous sommes tous les quatre entassés avec nos sacs et ceux des trois qui sont confortablement assis dans la cabine.

Nous arrivons à Chile Chico. Nous croisons au passage deux cyclistes qui commencent leur trajet de peine sous ce cagnard. Tout mon respect aux cyclistes qui ont cette idée folle et ahurissante de traverser la Patagonie.

La ville est paisible, des travaux ont lieu à l'entrée de l'avenue principale. Tout se passe dans une autre atmosphère, loin du calvaire que nous venons de vivre et en pensant à Cristóbal et Pamela qui sont encore derrière nous.
Le pick-up s'arrête, nous sommes sales, poussiéreux mais soulagés. Je descends pour commencer à décharger les bagages et là je vois la porte passager s'ouvrir. Je vois la passagère descendre et reconnais la Californienne que nous avions vue à Cochrane le matin : "No way!!!"
Elle s'appelle Alex et nous faisons un hug de soulagement de nous voir tous arrivés ici sains et saufs.
Elle aussi est passée par l'ascenseur émotionnel et a fait un trajet similaire au notre jusqu'à Maillín.

Bon, nous sommes cinq. Il faut encore trouver un bus pour Coyhaique / Balmaceda et un hébergement.
Felipe, Kimberly et Alex s'occupent de l'hébergement, Madame et moi de trouver le terminal de bus.
Après avoir couru un peu partout, nous le trouvons, fermé. Un numéro de téléphone et un coup d'oeil à Facebook, il y a un bus le lendemain à 9H pour les personnes dont le trajet en barcaza a été annulé. Il faudra arriver à 8H pour prendre possession des places. Ça me rappelle quelque chose...
Dans le même temps, Felipe a trouvé un hébergement pour 5 à 55.000 pesos, le moins cher par personne depuis le début du voyage.
Lui et moi arrivons sans les filles au lodge. La propriétaire est hésitante et il faut insister pour dire que nous sommes ceux qui viennent de réserver. Le groupe précédent vient d'annuler la réservation du lodge pour une semaine entière et la propriétaire est encore échaudée d'avoir dû s'asseoir sur toute une semaine à 80.000 pesos la nuit.

J'abrège, nous faisons des courses avec Alex et retrouvons Cristóbal et Pamela, qui ont eu un pick-up quelques minutes après nous. Ils sont fatigués et vont se reposer dans un camping pendant que je vais préparer un bon repas à base de pâtes, saucisses, sauce tomate et merkén (paprika fumé, spécialité du Chili) en écoutant Los Prisioneros.

Une partie de "Care caca" et au dodo après cette journée épique.

Bilan de la journée : dix heures pour faire 178 Km (64 miles), les 178 Km les plus longs de notre vie ! A côté, mon voyage en stop à travers les Balkans (Berat-Istanbul) c'était tranquille.
De la poussière partout. La douche est plus que nécessaire et il faudra tout laver en rentrant.
Il ne faudra pas louper le bus de demain car sinon nous allons manquer l'avion mercredi 16. Il ne faudra pas non plus penser au trajet de retour de 8 heures jusqu'à Balmaceda / Coyhaique.
Tout se fait ici par Facebook et WhatsApp, nous n'aurions pas pu faire ça sans le FB de Madame.
Mais surtout l'épreuve a rapproché notre petit groupe et nous maintenons un petit contact. Je pense que ce sera, paradoxalement, le meilleur souvenir de ce voyage.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Santiago

 Une petite présentation rapide de Santiago et de la vie quotidienne santiaguina. Dernière vue avant de prendre l'avion, oui, je commenc...